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Pourquoi maintenir l'appellation "perversions sexuelles" quand tous les théoriciens et les cliniciens en dénient la valeur ?







Dès 1977 Sollers propose l’appellation “variantes comportementales” pour qualifier les différentes expressions de la sexualité humaine, afin d’éliminer les notions de “santé et de maladie, de bien ou de mal, d’utilité ou d’inutilité”. Parler de “perversions sexuelles” n’engendre que la confusion, comme l’affirment plusieurs auteurs :

- “La personne qui s’adonne à une activité sexuelle inusitée n’est pas nécessairement dangereuse et n’a pas besoin nécessairement d’être traitée” (Albert Allgeier, Sexualité humaine, De Boeck Université, 1989, p.588). Donc ne concerne ni la justice ni la médecine...

- “Ce n’est pas de perversions qu’il faudrait parler, mais plutôt de particularités sexuelles” (Gérard Bonnet, psychanalyste, Les Perversions sexuelles, Que sais-je ? P.U.F., 1983, p.7)

Pascal Bruckner propose aussi une approche plus rationnelle : " il faut distinguer deux sortes de catégories hors normes. La première correspond à des pratiques sexuelles qui faisaient scandale à la fin du siècle dernier, mais qui sont aujourd'hui parfaitement admises. On constate ainsi que bien des préférences ou des comportements catégorisés autrefois come pathologiques se sont banalisés au point d'être considérés maintenant comme autant de fantaisies ou de simples amusements coquins. La seconde concerne des gens qui ont des goûts sexuels très spécifiques et sont incapables d'accéder à la jouissance en dehors de scénarios rigoureusement définis (voyeurs, fétichistes, exhibitionnistes, etc.).

Cette seconde catégorie regroupe des personnalités soit obsessionnelles soit dépendantes, qui ne relèveront de la médecine que s'il y a souffrance " cliniquement significative " ou " altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants ", et relèveront de la justice s'il y a non respect des règles et des lois.


Si ni légalement ni médicalement l’appellation de “perversion sexuelle” pour qualifier un acte particulier n’est utile, elle ne s’explique que par un jugement moral personnel, ou par une réaction affective relevant des goûts et dégoûts de chacun.

Or sur ces points le médecin doit rester neutre.


Une présentation plus strictement médicale pourrait être celle de Pierre Janet dans sa préface à l’édition française de la Psychopathia sexualis de Krafft Ebing (1931) : “il y a trouble pathologique quand l'acte sexuel, exécuté d'une manière quelconque, devient excessif et dangereux pour l'individu ou pour les autres membres de la société et se trouve par conséquent en opposition avec les lois sociales, quand l'impulsion à cet acte considéré comme excitant devient trop grande, trop exclusive, détermine des déséquilibres dans les forces psychologiques et tend à produire des souffrances et des désordres mentaux” (p.6-7).


Il y a donc une grande différence entre un crime ou un délit sexuel, le comportement sexuel d’un pervers, les troubles sexuels d’un malade psychiatrique et les jeux sexuels variés que tout un chacun peut être amené à pratiquer avec un partenaire adulte consentant. Ce sont quatre domaines différents, qui demandent quatre approches différentes.

 

Si on voulait tirer toutes les conséquences de ces constatations, on pourrait dire que parler de “perversions sexuelles” ne permet pas de diagnostic médico-légal mais permet, en revanche, deux autres “bénéfices” :

1- occulter ses propres comportements pervers en sexualité. Le pervers c’est l’autre, celui qui pratique sadomasochisme, zoophilie, ou fétichisme. Ce n’est pas moi, qui n’ai que des comportements “normaux”, qui fais l’amour normalement. Et je me dédouane peut-être de ma propre perversité, qui me fait ne pas tenir compte du désir, du plaisir ou de la frustration et de la souffrance de mes partenaires, à qui j’impose ce qui ne leur convient pas, que je frustre de ce qui leur plairait, à qui je fais perdre confiance en eux à force de les déstabiliser.

Une autre conduite sexuelle révèle un comportement pervers, c’est de ne pas protéger les rapports : les individus qui agissent ainsi courent le risque de contaminer leurs partenaires, et de leur gâcher durablement la vie sexuelle par transmission d’herpès notamment, ou de toute autre infection sexuellement trasmissible. Être indifférent aux conséquences de ses actes sur autrui est la caractéristique principale du pervers. À plus forte raison s’il s’agit de jouir des souffrances causées...

2- occulter ses multiples comportements pervers très dangereux dans d’autres domaines que la sexualité. Le pervers, c’est le travesti, mais le conducteur d’automobile qui refuse de se soumettre aux limitations de vitesse (qui sauvent la vie de milliers de personnes chaque année), qui s’arrange pour connaître l’emplacement des radars et continuer ses excès de vitesse sans se faire pincer, lui, c’est un malin. Pourtant le raisonnement typiquement pervers consiste à dire que la loi c’est pour les autres et pas pour soi...

L’addiction aux drogues, à l’alcool, au tabac amène aussi à des comportements pervers, où l’on en arrive à dire que c’est la société qui ne respecte pas sa liberté de consommer ce que l’on veut, en oubliant totalement que la règle de base de la vie en société est que la liberté de chacun s’arrête où commence celle d’autrui : ma liberté ne peut consister à faire ingurgiter de force à autrui la fumée de mon tabac, à conduire ivre ou drogué au risque de blesser ou tuer. Le pervers est celui qui raisonne en fonction de lui, en ignorant l’autre et ses droits.


Yves Ferroul

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