L’hétérosexualité
(Premières notes pour une réflexion sur la question)
Mes études sur l’Amour Courtois m’ont mis en face d’un fait particulièrement intrigant : quand les troubadours, au début du xiiè siècle, commencent à chanter que l’idéal pour un homme est de devenir amoureux d’une femme, de se servir de son élan amoureux pour progresser moralement et construire une amitié réciproque, leurs propos sont « inouïs ». En effet, jamais une telle idée n’avait été formulée dans les sociétés antérieures, jamais, même, elle n’était venue à l’esprit d’un homme de l’Antiquité ou du Haut Moyen Âge.
Or, par la suite, cette idée a fait son chemin, au point que, vers1890, les couples de femmes et d’hommes qui se choisissent « par amour » commencent à devenir majoritaires, et qu’au début du xxè siècle apparaît de plus en plus évident pour les individus que le but de la vie est de former un couple avec une personne de l’autre sexe, parce que l’on s’aime, que l’on veut partager vie sexuelle, vie affective et vie sociale, avoir ensemble des enfants et les élever en commun.
Se crée ainsi un idéal de société, qui se généralise, diffusant ce que l’on peut appeler une « culture hétérosexuelle ». Celle-ci finit par devenir dominante, progressivement exclusive, voire intolérante : ce qui peut contrarier son hégémonie est disqualifié et combattu, après avoir été défini et étiqueté comme « homosexualité » (le mot apparaît après 1890), avec l’invention de la partition des personnes selon le sexe de leur partenaire en deux groupes distincts et antagonistes, les homosexuels et les hétérosexuels. Cette division devient un critère de qualification, ou de disqualification, sociale et morale. Les « hétérosexuels » auront le mérite d’être les seuls « naturels », les seuls dont la sexualité est conforme à la sexualité « normale » pour une espèce à différenciation sexuelle…
Je me propose de parcourir l’Histoire pour examiner comment les sociétés antérieurs à la nôtre pensaient la variété des pratiques sexuelles ; puis de réfléchir à l’intérêt et aux inconvénients du type de représentation sociale actuel.
(Hétérosexualité : conception de la société qui érige en norme que tout individu forme un couple exclusivement avec un individu de l’autre sexe, afin de partager leurs vies sexuelle, affective, sociale et familiale. Ce type de couple est alors dit « naturel » parce que fondé sur la nécessaire complémentarité sexuelle que réclame la procréation dans notre espèce.
Or jamais ce couple n’a existé comme norme ou comme idéal dans les sociétés antérieures au xixè siècle.
Si des « comportements hétérosexuels » ont bien sûr toujours existé, permettant la survie, et même la prolifération, de l’espèce, ils n’ont jamais été dominants, jamais exclusifs, n’ont jamais abouti à une société à culture hétérosexuelle (d’après la définition ci-dessus), jamais entraîné la stigmatisation comme anormaux de ceux qui avaient une pratique homosexuelle avant la fin du xixè siècle.
Yves Ferroul
Sexodoc
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