Accueil
Accueil

Sexodoc 

Site de documentation et de réflexion sur la sexualité

IVG

Martin Winckler, Contraceptions, mode d’emploi ; ce qu’on ne vous avait jamais dit, Éditions Au diable vauvert, 2001, (14,48).


            Un ouvrage accessible et complet, destiné au grand public comme au médecin, écrit par un praticien qui s’appuie sur son expérience personnelle et a réfléchi sur la place de la contraception dans la sexualité humaine.

Toutes les questions qui peuvent venir à l’esprit à propos de contraception sont abordées. Les idées reçues sont rappelées ; les problèmes psychologiques ne sont pas oubliés à côté des renseignements les plus techniques ; les inconvénients de chaque méthode, comme leurs avantages, sont évoqués ; les multiples problèmes quotidiens (comme les oublis…) les situations particulières, les cas individuels reçoivent des explications et des propositions de solutions.

Pour les femmes, de quoi s’éviter bien des angoisses, voire bien des souffrances.

Pour les hommes, un manuel afin de ne pas rester totalement étranger à cette composante inévitable de leur vie sexuelle.

Pour les médecins, un vademecum pour conseiller humainement et efficacement leurs patients.

____________________________________

  

Où sont les hommes qui ont fait un enfant à ces femmes qui n'en veulent pas  ?


La décision de la Cour Suprême des États-Unis remet en lumière la question de l'avortement, d'autant que certains états préparent déjà des lois pour condamner les femmes qui contourneraient l'interdiction qu'ils vont instaurer.

Les femmes sont donc, en cas d'avortement, les seules coupables et les seules à punir.

Or toutes les femmes qui recourent à l'avortement ont été mises enceintes par un homme  : comment la loi peut-elle oublier la part de responsabilité de cet homme  ?

Les raisons qui poussent une femme à avorter sont multiples  : la plupart ont déjà des enfants, et un de plus serait une charge, en temps, en fatigue, trop lourde, déstabiliserait un équilibre financier trop fragile, aggraverait des problèmes de santé... D'autres sont trop jeunes, ont des étapes scolaires ou professionnelles déterminantes pour leur vie future, qu'elles doivent franchir en priorité notamment pour ne pas être trop dépendantes d'un homme.

Quelles que soient les raisons de ces femmes, la grossesse n'était pas leur projet  : les hommes qui ont eu des rapports avec elles ont-ils respecté leurs partenaires ou leur ont-ils imposé des rapports à des moments inopportuns, voire même exigé des rapports non protégés (sources de grossesses et d'infections) comme le font beaucoup de jeunes hommes et pas mal de plus âgés  ?

Peut-on croire que toutes ces femmes qui ne voulaient pas de grossesse, et qui se retrouvent pourtant enceintes, ont eu des partenaires respectant leur projet de vie, attentifs à leur équilibre et à leur épanouissement, soucieux de ne pas leur gâcher la vie, délicats en ne voulant pas les placer dans une situation douloureuse  ?

Malheureusement non, et la part des accidents où personne n'est coupable dans le couple est vraiment infime.

Trop d'hommes imposent à leurs partenaires des rapports à leur façon, et trop d'hommes ajoutent l'ignominie à l'ignominie en acceptant que celles-ci ne soient pas libres au moins de gérer à leur gré les conséquences fâcheuses de leur inconséquence à eux, voire en acceptant dans beaucoup de pays leur condamnation et leur emprisonnement pour avoir tenté de sortir du piège où ils les avaient de fait enfermées.

La loi se déshonore en s'acharnant sur les victimes et en ne se souciant pas d'établir les vrais responsabilités.

  

Essai d'imitation du "De l'esclavage des Nègres"

(Montesquieu, L'Esprit des Lois, III, livre XV, chapitre V)


Si j'avais à soutenir le droit que nous avons d'interdire à toutes les femmes d'interrompre une grossesse qui ne leur convient pas, je dirais  :


1- Nos peuples d'Europe, submergés par une immigration étrangère prolifique, perdraient très vite leur prédominance chez eux si les naissances n'y étaient pas assez nombreuses, et ils seraient amenés à perdre leur culture. Réduire le nombre de naissances par l'IVG est donc une faute grave.


2- Une grossesse n'est pas une affaire individuelle, mais celle d'une société, d'un État, qui seuls ont le droit de décider du sort de l'enfant.


3- Les Églises catholiques, en défendant coûte que coûte la vie de l'enfant, prouvent qu'elles sont bien au service des petits et des plus faibles, contre l'égoïsme des plus forts.


4- L'interdiction de l'IVG et la condamnation des femmes qui y recourent prouvent que les pays qui les ont mises en vigueur ont les dirigeants les plus respectueux des droits de leurs concitoyens, comme ceux de la Pologne et ceux du Salvador.


5- Comme il y a toujours un homme comme cause d'une grossesse chez une femme qui veut avorter, on voit bien que cet homme est parfaitement innocent du déclenchement d'une grossesse intempestive non désirée puisque, sinon, les législateurs, qui sont des sages par définition, condamneraient aussi les hommes pour avoir mis une femme dans l'embarras par rapport à sa grossesse  : ce qu'ils ne font jamais.


6- Dieu, qui est un homme, a fait que seules les femmes peuvent être enceintes, donc que seules elles sont responsables du bon devenir de l'enfant, et que seules elles peuvent être châtiées si elles l'entravent.


7- Si les femmes n'étaient pas les seules responsables en cas de perte de l'enfant, les Salvadoriens, qui font partie des nations développées, n'aurait jamais eu d'idée de les condamner à la prison quand cela leur arrive de faire une fausse couche.


8- Une preuve que les femmes n'ont pas la capacité de décider ce qui est bien pour elles, et que les hommes ont raison de décider à leur place, est qu'elles font plus de cas de chaussures à hauts talons qui leur tordent les pieds que de chaussures basses qui sont pour elles plus confortables.


9- Les connaissances les plus assurées témoignent que Dieu met une âme dans l'embryon dès la fécondation pour en faire un être humain ayant pleine et entière disposition de ses droits dès ce moment. Ce qui fait que le droit de vivre ne peut raisonnablement pas lui être ôté.


10- La Cour Suprême des États-Unis vient de légiférer sur l'IVG en supprimant le caractère fédéral de sa légitimité  : elle le fait au nom de la défense de la vie, son grand souci, confirmé par son autre décision sur l'élargissement du port d'armes afin qu'un plus grand nombre de citoyens puissent défendre leur propre vie.

Pour ou contre l'IVG : le pragmatisme, méthode de réflexion.



Dans son ouvrage Tribus morales, L'émotion, la raison et tout ce qui nous sépare (Éditions Markus Haller, 2013), Joshua Greene propose, comme exemple d’efficacité du pragmatisme, le cas de l’interruption volontaire de grossesse.


L'auteur part d'un constat : dès que l’on aborde le problème de l'IVG, les opinions sont affirmées de manière tranchée. Pour les uns, la vie est sacrée, le fœtus a droit à la vie, il y a un bébé dans le ventre de la mère. Pour les autres, il s'agit de la vie de la femme, elle seule peut décider de ce qui la concerne, c’est son droit de pouvoir choisir. Pour les premiers, leurs opposants, les pro-choix, n’ont aucun respect pour la vie humaine et sont les représentants de la culture moderne de la mort (qui prône l’euthanasie aussi). Pour les seconds, leurs opposants, les pro-vie, sont des misogynes, qui se soucient fort peu du sort des femmes.

Il y a donc un choc de valeurs contradictoires, des droits opposés brandis, sans possibilité de décider rationnellement quel est le droit qui peut prédominer, ni même quel est le fondement de ces droits revendiqués. De fait, se référer à des valeurs, à des droits, interdit toute discussion.

On peut alors réfléchir sur des faits  : on ne peut tuer ce qui est dans le ventre de la mère parce que cet être a une âme  ? De qui s’agit-il  ? Du petit amas de cellules de l’embryon  ? Du fœtus  ? À quel moment se fait l’animation  ? Dès que le spermatozoïde pénètre dans l’ovule  ? Plus tard ? Mais quand ? Comment peut-on le savoir ?

La conviction que cet être a une âme va de pair avec une impossibilité totale de préciser l’instant où il la reçoit. De leur côté, les partisans de l’IVG ne raisonnent pas à partir de l’âme, mais de la viabilité du fœtus, et eux aussi ne sont pas prêts à accepter une intervention dans les dernières semaines de grossesse. Mais ils sont sensibles aux difficultés de la femme, à ses souffrances prévisibles. Les sentiments qui s’opposent sont donc très forts, mais très complexes et difficiles à justifier. Il est pourtant impossible de les ignorer  : comment décider alors  ?

Le pragmatisme serait la solution  : non pas discuter des valeurs ou des droits, puisqu'il est impossible de trancher pour l'un plutpot que pour l'autre, mais concrètement examiner les conséquences de l’une ou l’autre décision et voir laquelle entraînera le plus de bonheur pour le plus de personnes, selon leurs propres conceptions du bonheur, ou du moins laquelle entraînera le moins de souffrances, le moins de problèmes.

Si on accepte l’IVG, il y aura moins d’enfants, seul élément négatif, mais les femmes qui y auront recours auront choisi le moins mauvais pour elles, celles qui y renonceront seront plus satisfaites d’avoir eu le choix (et non une conduite imposée de l’extérieur). Mais interdire l’IVG seulement pour avoir plus d’enfants (200 000 IVG en France) n’est pas rationnel quand infiniment plus d’enfants ne naissent pas à cause de la contraception, ou du fait que les femmes n’ont pas tous les enfants qu’elles pourraient naturellement avoir (ne serait-ce qu'en France, plusieurs millions  !).

Si on interdit l’IVG, pour celles qui y auront recours quand même, les plus aisées iront à l’étranger et seront simplement embêtées par un parcours plus compliqué et plus cher  ; les moins aisées entreront dans la clandestinité, avec tous les risques pour leur santé et leur vie inhérents à ces pratiques.

L’interdiction aura donc des conséquences négatives faibles pour les premières, graves, voire très graves, pour les secondes.

Pour les femmes qui choisiraient de respecter la loi et de garder l’enfant, certaines ne l’auraient pas fait si la loi avait été différente, et donc ont une grossesse non voulue, ce qui n’est pas positif. À la naissance, les unes vont garder l’enfant non désiré  : malgré des cas douloureux, la majorité de ces enfants donneront des adultes à la vie normale. Celles qui vont abandonner l’enfant vivront personnellement un drame, mais là aussi la plupart de ces enfants (mais pas tous  !) réussiront leur vie. Tout n’est pas négatif.

Au total, aucune solution n’est parfaite. Pourtant les issues négatives sont bien plus nombreuses et plus lourdes dans le cas de l’interdiction de l’IVG que dans le cas de son autorisation. L’attitude pragmatique est donc d’autoriser l’IVG.

Le pragmatisme permet ainsi de dépasser les oppositions entre religions, entre systèmes différents de valeurs, entre convictions divergentes.

Mais il suppose que les protagonistes renoncent à vouloir considérer leur système de valeurs comme universel, comme devant s’imposer à tous. Il suppose qu’ils acceptent, pour vivre avec les autres qui pensent différemment, de changer de système de référence, de placer l’action concrète avant les valeurs.